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Rodin, de l’art du nu à l’érotisme cru

« Il n’y a rien dans la nature qui ait plus de caractère que le corps humain » – Rodin

Rodin démultiplie les représentations érotiques à travers ses dessins et sculptures. Autant d’œuvres jugées souvent scabreuses à leur création. Pascal Bonafoux rappelle dans son ouvrage tout juste paru « Rodin & Eros » qu’après le siècle de grand libertinage que représenta le XVIIIème siècle, les mœurs occidentales et à plus forte raison françaises, se voulurent prudes et recadrées à l’époque de Rodin (1840-1917) : la bonne moralité a repris le dessus dans la vie courante et le doit aussi dans les productions artistiques et littéraires. On remet des feuilles de vigne sur les corps dénudés pour cacher les sexes, on critique et met à mal des œuvres telles que Madame Bovary de Flaubert, livre jugé contraire à la morale religieuse et aux bonnes mœurs, et Rodin n’y échappera pas : nombre de ses réalisations sont jugées scandaleuses, obscènes voire le fruit d’un esprit pervers.

Malgré tout, ce n’est pas tant le nu artistique transmué en érotisme cru qui retient l’attention mais le caractère presque fébrile des dessins de Rodin : il semble comme fasciné par la vision de ces femmes nues posant, à sa demande, dans des positions lascives et provocantes. C’est comme si l’artiste ne pouvait saisir son modèle que dans l’instant sous peine de voir la vision s’évanouir, à moins que cette vision ne soit justement trop captivante pour l’homme pris à son propre jeu de mise en scène : le trouble que provoque le sexe des femmes montré au regard de l’artiste.

D’où peut-être le trait rapide, nerveux, imprécis de ses dessins où le corps n’a plus vraiment de contours et où les lignes, maladroites, s’entremêlent. Cuisses, sexe et seins dans une même représentation fébrile, subjuguée.

Isadora Duncan, grande danseuse américaine de la fin du XIXème, est sous le charme de l’œuvre du sculpteur et devient alors l’un de ses modèles pour ses réalisations de sculptures. Elle l’évoque en ces termes :

« Il me regardait de ses yeux brillants sous ses paupières baissées, puis avec la même expression qu’il avait devant ses œuvres, il s’approcha de moi. Il passa sa main sur mon cou, sur ma poitrine, me caressa le bras, passa ses doigts sur mes hanches, sur mes jambes nues, sur mes pieds nus. Il se mit à me pétrir le corps comme une terre glaise, tandis que s’échappait de lui un souffle qui me brûlait, qui m’amollissait. » – Rodin – Les figures d’Eros, éds. du Musée Rodin, 2006

La fascination de Philippe Sollers également pour les paysages féminins de Rodin : à la question « Qu’il y a-t-il sur vos murs ? » posée par Pierre Assouline (dans « Le jardin secret de Philippe Sollers »), Sollers répond :

« Presque rien. Un dessin de Rodin, un petit nu ; un magnifique rouleau que j’ai trouvé dans un coin à Pékin — de la calligraphie. Elle représente mon idéal, le paysage avec l’écriture, le tableau en même temps que le poème. C’est magnifique de ne pas accepter la dislocation entre d’un côté ce qu’il y a à voir et de l’autre ce qu’il y a à dire. C’est la même chose. »

Émerveillement qui va plus loin puisque Sollers fera paraître un ouvrage illustré avec Alain Kirili, Rodin, dessins érotiques (Gallimard, 1987), dans lequel il écrit :

« D’où sortent tant de bustes, de mains, de jambes et de gestes, de visages tendus, de couples musculeux, de demi-dieux ou déesses emportées ? De ça. De ces femmes uniques, au pluriel nu, en situation extrême. Découvrant en mouvement leur sexe, le désignant et le profilant, l’imposant de face

(…)

Il y a un tremblement, un tressautement, des étincelles, un courant de possession furieux et pourtant serein. Assises, allongées, emboîtées, elles tournent. Rodin, jupitérien sous forme d’une pluie d’ondes, les pénètre de toutes parts, ces mortelles ou demi-mortelles, il se situe exactement à l’intersection de leur jouissance et du trait. »

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